NLK!#24 - D'une simple question: mais pourquoi voté-je ?

 

    Un bref salut du bout de la main, fieffés et non moins-estimé(e)s lecteurices.

     L’on pourrait penser que telle la cavalerie dans le dicton, j’arrive après la bataille. Les élections sont passées, les résultats sont là et, encore une fois comme depuis vingt ans que je m’intéresse un minimum à la politique, ils oscillent entre accablants et désespérants.

     Encore à cette occasion, je me posai une question : Pourquoi ? Mais pourquoi donc, continué-je à voter ? … et j’ai bien conscience de m’aventurer sur un terrain plus épineux qu’une cactacée.

 

 

    Je n’en ai guère l’habitude, pourtant je vais insérer ici une image, à la fois pour aérer mon texte, mais aussi pour introduire mon propos. Observez bien ce camembert concernant le premier tour des dernières régionales :

[1]

     « Yéwww… voilà un fromage dégueu », vous exclamerez-vous. Et vous auriez raison. À noter toutefois que les couleurs ne sont pas d’origine. Ça n’en rend pas le fromage plus appétissant, certes… En revanche, il s’en trouve bien plus causant. La part d’abstention est énorme. Ténorme ! vous dis-je. 45% auxquels l’on rajoute 7% de non-inscrits en âge de l’être et 2% de blancs et nuls.

     Ça donne à la fois à réfléchir et un petit peu le vertige. Cela fait d’ailleurs dire à certains : « Les abstentionnistes, plus grand parti de France »… J’en rigole doucement – Uh Uh Uh. Les abstentionnistes sont représentatifs de que dalle et de tout en même temps. On estime entre 10 et 20% les flux de gens qui votent à un tour et pas à l’autre. Ce ne sont donc pas vraiment les mêmes à chaque fois. Même si j’en connais, et certain(e)s sans doute parmi vous, qui ne votent et ne voteront jamais, ô grand jamais.

    On peut quand même sans doute y déceler une sorte de ras-le-bol généralisé de l’offre politico-politicienne. De là à y voir une volonté commune, il y a un gouffre que je me garderai bien de franchir.

     Une des nombreuses choses regrettables, c’est quand les politiques se rengorgent de représenter, par exemple, 27% des français, alors qu’ils n’ont recueilli le vote que de moitié moins.

 

    Je ne fustige pas les abstentionnistes. Je ne leur dis pas que la soi-disant « vague bleue » c’est de leur faute. Je ne leur dis pas : « vas voter, sinon t’es qu’un canard [2] ». Je comprends leur désarroi, pour ceux que cela concerne, voire je le partage, vu que je ne me considère pas comme représenté et encore moins par les partis les plus plébiscités par mes compatriotes.

     À noter d’ailleurs que l’idée comme quoi l’abstention profite au FN m’apparaît erronée. Le taux d’abstention n’a aucune incidence sur les fameux pourcentages à partir du moment où les résultats donnés n’en tiennent pas compte. Un truc qu’on appelle les maths, derrière tout ça… je sais, c’est obscur. Si on ne sait pas de quel bois est fait l’abstentionniste, on ne peut en conclure que le FN en profite. Cékuheffedé.

 

    En revanche, qu’on ne vienne pas me seriner que s’abstenir est un geste de rebelle. Que par cet « acte » là on exerce pleinement son devoir citoyen. Que si personne n’allait voter, le système s’effondrerait de lui même.

     Déjà, lorsqu’on annonce « si tout le monde [ajouter le vœu pieu de votre choix], alors [ajouter le résultat espéré de votre choix] », c’est une belle utopie qui se retourne dans sa tombe.

    Ensuite, si personne n’allait voter, t’inquiète que le système il ne s’effondrerait pas. Ah ça, il changerait, pour sûr, mais pas pour le mieux.

    J’entends déjà les SarkoValls-like déblatérer d’ineptes discours tel :

    « François, Françoises, je vous ai compris ! Réformes vous souhaitez, Réformer nous allons. Et si le suffrage universel ne vous sied guère, nous retournerons au censitaire.

     » Car oui, il nous est encore une fois démontré que les désargentés et le sexe faible n’ont rien dans la caboche, et que seuls les riches propriétaires munis d’un phallus savent d’emblée ce qui est bon pour la société. »

    L’abstention est à la rigueur le fait de ne pas se sentir représenté et décider de ne pas participer. Ça reste une décision personnelle, mais en tout état de cause un non-geste.

    D’une, parce qu’on voit bien que ça n’enraye pas le système malgré la majorité avérée de non-votants.

   De deux, parce que vous, rebelles-abstentionnistes militants considérant que vous avez agi en citoyens engagés, dites-vous bien qu’à vos côtés se trouvent cette personne qui aura préféré aller à la chasse et cette autre, à la plage, seulement parce qu’il faisait beau ce jour là  et, pour tout dire, qu’elle en a strictement rien à br…outer ; et que derrière vous se pavane ce crâne rasé qui s’est dit que plutôt qu’aller aux urnes, il allait se faire une petite ratonnade dominicale aux abords de la cité d’à-côté. Car oui, si il est à peine moins gras-du-bulbe que ses congénères dégénérés, il aura bien compris que ce n’est pas le Front de Haine qui lui amènera son IVe Reich tant chéri.

    Alors ne viendez pas me soutenir que par votre non-geste, tel un Che Guevara des temps modernes, vous êtes en train de révolutionner la société.

   Il existe une pléthore de raisons plus ou moins valables de ne pas aller voter. Peut-être vous définissez-vous comme un anar’ considérant qu’une société ne devrait pas être hiérarchisée, position idéaliste, certes, mais fort défendable. Ou encore que vous n’en avez effectivement rien à br…outer de comment/ qui/ quoi dirige votre pays. Il en existe sans doute des dizaines d’autres. Néanmoins, quel que soit le cas, assumez votre décision comme telle, non en vous rassurant et en vous gargarisant d’avoir réalisé un non-acte antisystème.

 

   Le suffrage universel n’est pas le problème.

   Le problème prend racine dans les modalités de vote et les choix offerts. Le problème vient de notre constitution qui ne contient pas en son sein les moyens pour le peuple de remettre en cause ses représentants. Le problème vient du fait que cette même constitution est écrite par ces mêmes représentants qui cherchent à garder leur poste. Le problème vient de la professionnalisation de la politique. Le problème vient du fait que, même condamnés pour fraude ou abus de bien sociaux, ces mercenaires n’encourent qu’une modeste période d’inéligibilité (sic). Le problème vient du fait que la population n’est pas formée pour être citoyenne à part entière, actrice de sa démocratie, et que même si elle le voulait (et c’est pas gagné), les outils en place sont trop dérisoires pour être efficaces.

    Une autre facette de ce problème, et je l’ai déjà évoquée par ailleurs, c’est que les medias de masse ne font pas leur job, à savoir incarner les organes de la démocratie, ceux qui donnent les clés de la compréhension.

    Car le vote, c’est normalement le dernier acte de la citoyenneté, celui que l’on décide de réaliser une fois que tout a été mis à plat et qu’ont été entendus les divers arguments. Alors que pour le moment, il est considéré comme le seul instant où le peuple devrait s’intéresser à la gouvernance en déposant son petit papier dans cette méta urne, puis qu’il s’en frotte les mains et aille grogner devant la soirée électorale et une énième fois, regarder des politicards se tirer la langue de bois.

 

    La constitution est a priori le texte qui permet de régir la gouvernance. En principe, elle protège les représentés des représentants qui exercent le pouvoir. Car, telle une loi physique immuable, Ses détenteurs cherchent à tout prix à le conserver, ce pouvoir… Allez comprendre.

    Comment ? En limitant leur pouvoir et en donnant entre autres aux représentés la capacité de renier, à tout le moins de sanctionner, ses représentants en cas de contrat non-rempli ou d’abus avéré.

    Tout ça n’existe pas dans notre pseudo-démocratie représentative.

    Churchill déclara, paraît-il, « La démocratie est le pire des systèmes à l’exception de tous les autres. »

    Et j’entends Indira Einstein s’esclaffer dans mon dos. Ben oui, il a raison, Indira. Il aurait fallu signaler à Winston qu’il se trompait dans les grandes lignes et que ce qu’on lui a fait passer pour une démocratie était en réalité une oligarchie mal fagotée. Pourtant, comme le souligne Cynisme, j’entretiens la certitude qu’il n’était pas si dupe.

 

   Le vote blanc m’apparaît comme un geste contestataire sacrément plus citoyen. Chose à laquelle j’entends déjà répondre : « Non mais moi, je voterai blanc quand il sera reconnu ».

 … Chose à laquelle à mon tour je rétorque : « C’est bien. Et moi, j’arrêterai de manger du maïs Monsanto quand ils cesseront d’en vendre. »

     C’est prouvé : la passivité engendre le changement que vous souhaitez.

     « Kesquessékoi le vote blanc ? » entends-je s’exclamer au fond de la salle.

     C’est exclusivement le fait de mettre une enveloppe vide ou contenant un papier blanc dans l’urne. Les autres votes sont dits « nuls ». Ce n’est d’ailleurs pas faute de ne pas les compter ces votes. Pas moins de 17 catégories existent pour classer les bulletins nuls et non-avenus, de double-post à injurieux [3]. À se demander pourquoi, vu que ni les uns ni les autres ne sont retenus comme « exprimés ». Ce qui est fort de kawa, au moins en ce qui concerne les premiers qui représentent un acte délibéré et considéré en l’état comme une déclaration contestataire.

     Militer pour sa reconnaissance, voilà un combat à mener. Ça réduirait quand même pas mal les pourcentages affichés de ces candidats sans faces au même programme libéral et poserait un peu mieux la question de leur légitimité et de leur représentativité. Je considère même qu’une majorité de vote blanc sur une élection majeure devrait entraîner l’établissement d’états-généraux 1789’style.

    À noter qu’une loi fut adoptée en 2014 pour que le vote blanc soit dûment comptabilisé et séparé des nuls… Mais elle n’implique pas qu’ils le soient dans les exprimés. Ouate-vœu-phoque, les députés ?! Point la peine de perdre votre temps si c’est pour pondre une demi-loi sans aucune incidence.

 

    Un autre combat ?

    T’inquiète, mon sac en poil de lol-chat en est rempli. Celui-ci, est d’une moindre envergure mais applicable directement : changer le scrutin pour obtenir une meilleure représentativité, et non un choix bi-partiste, ou tri-partiste désormais (sic). En le modifiant, par exemple, pour qu’il n’y ait qu’un seul tour à la proportionnelle directe. À ce compte là, les petits partis porteurs d’idées nouvelles – bonne ou mauvaises, hein – disposeraient d’une tribune dans les instances constitutionnelles, et les gros ne s’octroieraient pas une autoroute pour agir à leur guise. Surtout quand c’est pour remettre aux calendes grecques les promesses pour lesquelles ils ont été élus.

     Les combats à mener, on les compte par paquets de douze, et ils sont à mener de front… pas national. L’abstention militante n’est pas un combat.

 

    Il me faut maintenant venir à la réponse à la question avancée en introduction : Pourquoi voté-je si je considère nos gouvernants comme quasi-illégitimes et non-représentatifs et le mode de scrutin au mieux comme inadéquat ?

     Ma première pensée va à ma mère-grand à qui se choix était refusé en un temps pas si lointain que ça. Eh oui, je le rappelle : le suffrage universel en France ne date que de 1948. Moins de septante années. À l’échelle de la civilisation humaine, c’était à peine hier. D’ailleurs, avant-hier, seuls les riches phallocrates avaient le droit d’exprimer leur avis, et de nombreuses personnes se sont battues pour changer cet « état-de-fait ». Et la semaine d’avant, on laissait cela à des familles de parvenus, paraîtrait-il, désignées de droit divin (sic [4]).

     Vous l’aurez compris, je continue à voter grâce à l’Histoire et à cause de la nature humaine. Je continue parce que j’espère que demain, le vote participera d’une démocratie en accord avec sa définition. Je suis à des lieues de considérer ce droit comme un acquis inaliénable et éternel. Dites-vous bien qu’il est plutôt fragile comme une épingle de givre en plein cagnard. En ce sens, il est à défendre, non pas aveuglément, mais avec ferveur.

 

    En conclusion, malgré tous les défauts du système, et ils sont nombreux, je continuerai à mettre mon papier blanc dans son enveloppe, ou à « voter pour le moins pire » quand l’option m’apparaîtra comme essentielle. Et en dehors de ce petit geste, je continuerai à militer pour le modifier, ce système.

     En attendant la démocratie réelle et directe, je vous rassure :

 À la revoyure !

 

L’ichor

Illustration : A4.Putevie

Chronique à retrouver sur le blog d'Unfamous Resistenza.


[1] Je vous assure que mon pote David est une source intéressante et souvent pertinente, mais si vous voulez vraiment vérifier les chiffres avancés, je vous invite à vous rendre … oui ici. Et n’oubliez pas de reviendre. À noter que le graphe a été réalisé par mes soins de façon un brin approximative en comptant 3 myons de non-inscrits.

[2] Je reste poli, m’voyez.

[3] En passant, j’avoue m’être bien marré en voyant fleurir sur les réseaux sociaux toutes ces tentatives visant à piéger l’électeur du FN malavisé qui annoterait son bulletin pour gagner un Aïe-phone ou pour affirmer son attirance pour Marion Maréchal Pétain par un petit mot doux. Paraîtrait-il qu’elle passerait pour une beauté, mais je ne peux m’empêcher, quand je la vois, d’y juxtaposer une image de porcelet-haineux.*

* Toutes mes confuses, une faute de français stupide… je voulais bien entendu dire « de porcelaine »… du genre, un bidet en porcelaine.

[4] Oui, vous l’aurez remarqué, j’évoque nombre de choses dans cette chronique qui me rendent nauséeux. Avec d’ailleurs en filigrane tout au long de mon pamphlet, les résultats du FN qui eux me rendent carrément malade.

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